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SAAQ vs CRQ: lettre ouverte d’un contrôleur routier

  • Photo du rédacteur: La Rédaction
    La Rédaction
  • 9 juin
  • 9 min de lecture

Depuis trois mois, les contrôleurs routiers sont absents des routes du Québec à la suite d’un jugement du Tribunal administratif du travail (TAT) ayant reconnu 27 manquements en santé et sécurité au travail. Cette situation entraîne l’abandon de la surveillance de véhicules critiques comme les autobus scolaires, taxis, Uber et véhicules outils, ainsi que l’absence de protection sur des infrastructures sensibles telles que le pont de l’Île-aux-Tourtes, celui de l’Île d’Orléans et le tunnel Lafontaine. Une demande de mise sous tutelle a été déposée à la ministre Guilbault, sans réponse à ce jour. Les constables spéciaux, non formés ni équipés, sont désormais contraints de remplir des fonctions policières.


Voici la lettre ouverte:



Mesdames, Messieurs,


Depuis trois mois, les routes du Québec sont privées d'une présence essentielle à la sécurité routière : celle des contrôleurs routiers.


À la suite d'un jugement historique du Tribunal administratif du travail (TAT) rendu le 6 mars 2025, ces agents de la paix ont été retirés des routes en raison de préoccupations majeures concernant leur sécurité. Cette situation sans précédent s'inscrit dans un contexte plus large de dysfonctionnement au sein de la SAAQ, dont le fiasco SAAQclic constitue l'exemple le plus flagrant.


En tant que contrôleurs routiers, nous avons perdu toute confiance envers nos dirigeants directement liés à la SAAQ. Cette rupture est si profonde que notre syndicat, la Fraternité des constables du contrôle routier du Québec (FCCRQ), a déposé dans les semaines ayant suivi le jugement du TAT une demande formelle de mise sous tutelle de Contrôle routier Québec directement auprès de la ministre Guilbault. Il est important de souligner que cette démarche exceptionnelle, motivée par la défaillance manifeste de la gouvernance actuelle, demeure à ce jour sans réponse de la part de la ministre, illustrant le peu de considération accordée à cette crise majeure de sécurité publique.



La présente lettre vise à alerter l'opinion publique et les décideurs sur l'urgence d'agir pour résoudre cette crise qui compromet non seulement notre sécurité, mais également celle de tous les usagers de la route au Québec et l'intégrité de nos infrastructures critiques.


Des agents de la paix et constables spéciaux au service de la sécurité publique


Les contrôleurs routiers du Québec, regroupés au sein de Contrôle routier Québec (CRQ), constituent un corps d'agents de la paix rattaché à la SAAQ depuis 1991. Notre mission est triple : améliorer la sécurité des usagers de la route, assurer la protection du réseau routier et veiller au maintien de l'équité concurrentielle dans le domaine du transport.



Ce que le public ignore souvent, c'est notre double statut d'agents de la paix et de constables spéciaux. À ce titre, nous sommes non seulement chargés de faire appliquer le Code de la sécurité routière et les lois sur les transports, mais également d'intervenir en vertu du Code criminel lorsque nous sommes témoins d'actes criminels. Notre formation de 21 semaines à l'École nationale de police du Québec nous prépare à ces responsabilités.


En tant que constables spéciaux, nous avons l'obligation légale et déontologique de procéder à des arrestations lorsque nous sommes témoins d'infractions criminelles, comme la conduite avec facultés affaiblies, la possession de stupéfiants ou le transport de marchandises volées. Ces interventions, qui dépassent largement le cadre du simple contrôle administratif, nous exposent à des risques considérables d'autant plus que nous sommes contraints d'effectuer ce « travail policier », selon l'expression de Jean- Claude Daignault, président de la FCCRQ, sans disposer de l'équipement approprié pour assurer notre sécurité lors de ces interventions critiques.


Au fil des années, notre rôle a considérablement évolué. Comme l'a souligné M. Daignault : « On fait affaire avec du criminel, du transport de drogue, de voitures volées. L'environnement de travail a beaucoup changé [...] depuis les 10 dernières années, il y a un virage. »


Une situation intenable pour les contrôleurs routiers


Malgré cette évolution significative ´ le

de nos responsabilités et notre obligation d'intervenir face à des actes criminels, nous ne disposons que de bâtons télescopiques et de poivre de Cayenne, un arsenal nettement insuffisant face aux menaces rencontrées.


Le jugement du TAT, rendu par la juge Danielle Tremblay après vingt-quatre journées d'audience, est sans équivoque :


« Les contrôleurs routiers sont exposés à un danger d'agression lors des interventions sur les routes, qui se matérialise, compromet leur sécurité et leur intégrité physique et psychologique et que l'employeur admet ne pas contrôler. »


Plus précisément, le tribunal a constaté que :


« L'employeur ne fournit pas l'armement nécessaire à l'application sécuritaire des méthodes d'intervention préconisées par le Modèle national de l'emploi de la force, particulièrement lors des situations dites critiques ou encore requérant d'user d'une option de force mortelle ou d'arrêt. »


Cette situation paradoxale nous place dans une position intenable : nous sommes chargés d'assurer la sécurité routière et d'intervenir en cas d'actes criminels, mais sans les moyens nécessaires pour garantir notre propre sécurité.


La perte de confiance envers la SAAQ : le fiasco SAAQclic comme révélateur d'une crise profonde


La crise que nous traversons s'inscrit dans un contexte plus large de dysfonctionnement au sein de la SAAQ. Depuis son lancement chaotique, le système SAAQclic a plongé l'organisation dans une crise sans précédent, révélant des problèmes de gouvernance majeurs.


L'enquête publique en cours a mis en lumière une série de défaillances systémiques : contrats douteux, dépassements de coûts astronomiques, manque de planification et de transparence. Ces mêmes problèmes de gouvernance qui ont conduit au fiasco SAAQclic affectent directement notre sécurité.


C'est cette situation intenable qui a conduit notre syndicat à demander la mise sous tutelle de Contrôle routier Québec. Notre intégration au ministère de la Sécurité publique est devenue une nécessité vitale face à une organisation qui a démontré son incapacité à gérer efficacement ses responsabilités fondamentales.

  

Le jugement du TAT : une décision cruciale pour notre sécurité



Le jugement du TAT constitue un enjeu distinct et fondamental pour notre sécurité. Il reconnaît explicitement les dangers auxquels nous sommes exposés et ordonne la suspension des activités de patrouille tant que des mesures adéquates ne sont pas mises en place pour assurer notre protection.


Cette décision historique fait suite à des années de revendications et de plaintes auprès de la CNESST. Elle met en lumière l'écart flagrant entre nos responsabilités légales et les moyens dont nous disposons pour les exercer en toute sécurité. Le tribunal a d'ailleurs relevé 27 manquements en santé et sécurité au travail.


La SAAQ a contesté cette décision devant la Cour supérieure, demandant un « sursis d'application » et « l'annulation » de l'ordonnance. Ce sursis d'application a été rejeté par la cour, mais cette démarche juridique ne fait que prolonger une situation dangereuse et intenable.


Des conséquences graves pour la sécurité routière et les usagers vulnérables


La suspension des activités de patrouille des contrôleurs routiers a des répercussions considérables sur la sécurité routière au Québec. Confinés aux postes de contrôle, qui ne représentent habituellement que 40% de nos tâches, nous ne pouvons plus assurer une surveillance efficace du réseau routier.


Cette situation est particulièrement alarmante, car seuls quelques lieux précis font désormais l'objet de contrôles, et uniquement pour certains types de véhicules lourds qui ont l'obligation de s'y présenter. De nombreuses catégories de véhicules échappent maintenant complètement à toute surveillance :


• Les autobus scolaires transportant quotidiennement nos enfants

• Les autobus urbains et autocars (nolisés et interurbains) - rappelons que la

tragédie des Éboulements de 1997, qui a coûté la vie à 44 personnes, était une conséquence directe du manque de contrôle des autocars, comme l'a souligné le coroner Luc Malouin en dénonçant « l'absence quasi réelle de contrôle routier effectif »


• Les taxis et véhicules de transport rémunéré de personnes comme Uber

• Les véhicules outils de toutes sortes (tracteurs, excavatrices, etc.)


Par ailleurs, il n'y a plus aucune surveillance de la vitesse par les opérateurs cinémomètres de Contrôle routier Québec (CRQ), notamment dans les zones scolaires et les zones de travaux routiers, où la sécurité des enfants et des travailleurs est directement menacée.


Il est également important de souligner que plusieurs municipalités faisaient appel régulièrement aux contrôleurs routiers pour effectuer des surveillances spécifiques sur leur territoire, surveillances qui ne sont maintenant plus possibles.


Comme l'a souligné M. Daignault : « Les délinquants vont éviter les postes de contrôle et nous autres, normalement, on les attrapait parce qu'on faisait de la patrouille. Là on ne peut plus faire de la patrouille. »


Notre absence sur les routes compromet non seulement la sécurité des usagers mais également l'équité concurrentielle dans le secteur du transport.


La protection du réseau routier et des infrastructures critiques en péril


Au-delà de la sécurité immédiate des usagers, notre absence des routes compromet gravement la protection du réseau routier et des infrastructures critiques du Québec.


Les véhicules en surcharge, qui ne sont plus interceptés en dehors des postes de contrôle fixes, causent des dommages considérables aux chaussées et aux structures. Chaque camion excédant les limites de poids autorisées peut causer des dégâts équivalant à des milliers de passages de véhicules conformes.


La situation est particulièrement critique pour les infrastructures vulnérables comme :


• Le pont de l'Île-aux-Tourtes, déjà fragilisé et soumis à des restrictions

• Le pont de l'Île d'Orléans, structure historique avec des limitations de charge

strictes lequel faisait l'objet d'une surveillance fréquente par les contrôleurs routiers à la demande spécifique du ministère des Transports du Québec (MTQ), surveillance qui n'est maintenant plus possible

• Le pont-tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine, infrastructure névralgique pour la région métropolitaine où les contrôleurs travaillaient activement pour faire respecter les limitations des matières dangereuses dans le tunnel

• Les nombreux ponts en région dont la capacité portante est limitée


Sans notre présence sur les routes pour effectuer des contrôles mobiles et inopinés, ces infrastructures sont exposées à des risques accrus de dégradation accélérée, voire de défaillances structurelles potentiellement catastrophiques.


Des revendications légitimes pour une sécurité accrue


Face à cette situation, la FCCRQ porte depuis plus d'une décennie deux revendications claires : l'armement des contrôleurs routiers et leur intégration au ministère de la Sécurité publique du Québec.


L'armement n'est pas une demande excessive mais une nécessité dictée par l'évolution de notre environnement de travail et notre obligation légale d'intervenir face à des actes criminels. Comme l'a reconnu le TAT, les méthodes d'intervention auxquelles nous sommes formés présupposent l'accès à des moyens de défense adaptés aux situations critiques.


L'intégration au ministère de la Sécurité publique permettrait de reconnaître pleinement la nature de notre travail qui relève davantage de la sécurité publique que de la gestion administrative du transport. Cette revendication fait écho à la recommandation 94 du Comité consultatif sur la réalité policière, mandaté par la ministre Guilbault.


Ces revendications bénéficient du soutien de nombreuses organisations, dont la FTQ, mais aussi des associations du secteur du transport comme l'ACQ et l'ANCAI, qui reconnaissent l'importance de notre présence pour la sécurité de tous.


L'impasse des négociations collectives : un problème distinct mais révélateur


L'entente de principe annoncée le 11 avril 2025 entre le gouvernement et la FCCRQ concernant le renouvellement de notre convention collective a été rejetée par les membres. À ce jour, aucune entente ni avancée significative n'a été réalisée sur ce front.


Cette impasse, bien que distincte du jugement du TAT, révèle le manque de considération accordé aux préoccupations légitimes des contrôleurs routiers et illustre la nécessité d'une refonte profonde de notre statut et de notre rattachement institutionnel.


Un appel à l'action immédiate


Il est temps que le gouvernement du Québec prenne ses responsabilités et agisse concrètement pour résoudre cette crise.


Les contrôleurs routiers méritent d'être traités avec le respect dû à leur mandat d'agents de la paix et de constables spéciaux, et d'être dotés des moyens nécessaires pour accomplir leur mission en toute sécurité.


J'appelle donc :


1. Le gouvernement du Québec à accélérer la mise en œuvre de solutions concrètes pour permettre le retour sécuritaire des contrôleurs routiers sur les routes.


2. La ministre des Transports et de la Mobilité durable ainsi que le ministre de la Sécurité publique à se prononcer sur l'avenir des contrôleurs routiers et à donner suite à la recommandation du Comité consultatif sur la réalité policière concernant le statut des contrôleurs routiers.


3. La SAAQ à reconnaître la légitimité des préoccupations de sécurité soulevées par les contrôleurs routiers et à collaborer à la recherche de solutions plutôt qu'à s'engager dans une bataille juridique contre le jugement du TAT.


4. Le monde municipal à mettre de la pression sur le gouvernement pour rétablir la surveillance de leur territoire et retrouver les services spécialisés qu'ils sollicitaient régulièrement auprès des contrôleurs routiers.


5. Les médias à porter une attention particulière à cette situation cruciale pour la sécurité de tous les Québécois.


La sécurité des contrôleurs routiers n'est pas un enjeu corporatif isolé mais une question qui touche à la sécurité publique dans son ensemble. Chaque jour sans solution est un jour où la sécurité sur nos routes est compromise.


Comme l'a si bien exprimé Magali Picard, présidente de la FTQ, dans sa lettre au premier ministre :


« Nous espérons fermement que ces décisions iront dans le sens d'une meilleure reconnaissance de la mission essentielle des contrôleurs routiers et d'une volonté politique claire de les protéger adéquatement. »


Il est temps d'agir avant qu'un drame ne se produise. La sécurité des contrôleurs routiers, celle de tous les usagers de la route et l'intégrité de nos infrastructures critiques en dépendent.


Veuillez agréer, Mesdames, Messieurs, l'expression de mes sentiments distingués.


Un contrôleur routier anonyme

Membre de la Fraternité des constables du contrôle routier du Québec

 
 
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